L'Heure qu'il est

  • Marie Danielle Grau
  • allée_philo
L'Heure qu'il est[1]

 

Expression banale pour donner l'heure ? La réponse simple, par exemple : « Il est 17 heures et 10 minutes ». Mais je ne demande pas quelle heure il est, je veux savoir quelle est l'heure de notre monde, de notre civilisation, où nous allons et où nous en sommes ! « L'heure qu'il est » représenterait bien plus que ce que nos technologies de la mesure du temps rendent possibles ? Clepsydres, horloges de toutes sortes, de marines, astrolabes, de table, de carrosses,  montres oignons, montres mécaniques, électroniques, analogiques, à quartz, numériques, et dernières nées horloges/armoires atomiques, toutes donnent « l'heure qu'il est ». Mais j'insiste, ce n'est pas ma question. Peu m'importe l'exactitude d'un temps ou d'une durée mesurée, ni le repère de l'action qui peut être entreprise et que l'heure me permet d'envisager. L'heure dont je parle est pleine de gravité, elle ne passe pas avec les secondes ou les minutes qui s'écoulent, voire les millièmes de secondes comme il est possible de produire grâce à ces horloges à quartz extraordinaires de précision. L'heure que je veux connaître est celle de notre existence, de ses atouts et de ses défis, l'heure des paix signées et des conflits qui sourdent, l'heure des asservissements et l'heure des libérations et des émancipations, l'heure des profits économiques hallucinants qui font des ultras riches et des miséreux, des gavés de nourriture et des morts de famine ; l'heure que je veux connaître, celle des rencontres joyeuses et des pleurs incompressibles, explosions de chagrin, celle des enfants insouciants et des enfants accablés sous le poids des briques qu'ils remontent d'une fabrique à ciel ouvert, celle des vieillards cossus et sans soucis et des vieillards qui gisent sur un banc la nuit dans une métropole, l'heure des torturés et celle des prisonniers. « L'heure qu'il est » est-ce un monde gai, triste, facile, dur, morose, heureux, moment porteur pour faire naître ou pour refuser de donner naissance, comme certains affirment dans leur noire vision du monde ? Est-elle ce moment favorable pour tel projet, telle initiative ? A moins que ce ne soit l'heure de la fin du monde comme d'autres, avec la peur atomique, portent souterrainement l'angoisse ? La « fin d'un monde » n'est pas la « fin du monde », anéantissement de tout temps humain, heure de la destruction totale, triomphe du néant sur le temps et l'histoire ? Oublierions-nous que l'homme est « entre temps et éternité » et que déjà en lui, « l'âme est entre temps et éternité », belle expression du mystique rhénan Tauler au 14 ième siècle ? L'heure du monde, du temps de l'histoire, l'heure de notre époque serait-elle sans âme ?  N'y aurait-il pas devant nous, une heure nouvelle propice, un « Kaïros », mot grec signifiant un temps favorable ? Tel est le sens, métaphysique et non-horloger, de « l'heure qu'il est ».

                                                                              Marie-Danielle Grau


[1] Titre d'un livre écrit en français par un historien américain David S. Landes, dont le sous-titre est « Les horloges, la mesure du temps et la formation du monde moderne » ? Ed. Les Belles Lettres.Paris 2017. 632p.

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