ChatGPT et Ricoeur. 23/05/23

 

 

ChatGPT et Ricœur

 

 

Pouvait-on soumettre ChatGPT dit « intelligence artificielle » à une épreuve sorte de vrai test de son intelligence, puisque cette belle désignation le qualifie selon le nom brillant donné par son ou ses créateurs ? On peut le consulter comme produisant un texte, une vidéo, une image. Ainsi ai-je décidé de lui faire subir une épreuve. Voici donc une philosophe et son formateur informaticien interrogeant ChatGPT, prêts à lui faire subir une manifestation d’intelligence. Celle-ci sera t-elle glorieusement surmontée ou non par cette nouvelle technologie dite à juste titre ou abusivement, « intelligence artificielle » ? Nous choisissons un énoncé simple à nos yeux et le lui soumettons : « donnez-nous la biographie de Paul Ricœur ». Précisons que celui-ci est décédé en 2005, soit il y a dix-huit ans. Temps de silence devant l’écran, puis au bout de 2 à 3 minutes un texte a surgi, une synthèse de 6 à 7 lignes sur la vie de Paul Ricœur. La philosophe lit à haute voix. L’informaticien écoute. Il ne peut être juge dans ce domaine. Chaque phrase, chaque élément de la biographie est exact, dans l’ordre chronologique. Une courte biographie est déroulée, juste, rien à redire opine la philosophe devant le texte. Le résultat est bien là, on pourrait l’insérer dans un tout autre texte sans avoir fait aucune recherche. C’est une synthèse rapide, ordonnée, un sans faute. Mais l’insérer dans une production personnelle, d’une autre main ou style, mémoire, thèse, non, ce n’est pas possible. « Ça sent le recopiage » dirait un professeur aguéri. Alors, nous avons fait subir à ChatGPT une deuxième épreuve toujours sur Paul Ricœur. Voici ce que nous lui avons demandé : « quand et comment s’est passé pour ce philosophe l’épisode de sa vie où il a appris la mort tragique de son fils » ?

Et nous avons attendu devant l’écran de l’ordinateur, longuement. Nous attendons la réponse et l’attendons encore ! Autant pour la première étape, relativement rapide, nous étions un peu soufflés, assez admiratifs, autant ici ce fut une certaine désillusion tout en étant à la fois rassuré et dubitatif. Nous constations une limite voire un échec. De qui ? La mémoire de la machine, les neurones artificiels ? Il apparaît que si on approfondit au niveau des précisions, du pointu, s’éloignant des généralités, cette « intelligence artificielle » est mise en difficulté voire en situation d’échec. Posant des questions qui ne font pas partie de ses datas, ChatGPT devient ignorant, et disons-le « sans intelligence ». L’explication de cet échec semble être là, l’absence de datas où puiser. Une deuxième explication est possible : la limitation voulue, raisonnée, ou la rétention de certains neurones artificiels, sorte d’éthique imposée à la communication, régulation de l’information. Effectivement notre deuxième question mettait en jeu la vie privée de Paul Ricœur et un épisode tragique et douloureux d’un fils qui s’est suicidé. Les philosophes, tous, connaissent cet épisode. Vie privée et éthique sont elles soumises sur ChatGPT à des contrôle et des limitations d’information ? A t-on gelé des datas pour qu’ils ne sortent pas ? Suite à cet épisode d’épreuve manquée de ChatGPT, une réelle réflexion amorcée est à poursuivre. La CNIL1 commence à veiller : quelle éthique donner à ce puissant et fascinant numérique ?

Résumons et analysons : la synthèse bibliographique donnée, rapide, exacte n’est rien d’autre que des données rassemblées, comme un dictionnaire ou une encyclopédie en présente, sans style, sans originalité. C’est la froideur d’une synthèse derrière laquelle aucune plume n’apparaît. Ce qui s’appelle du style, de la restitution élégante, personnelle, ou personnali sont absents. Tout ce qui fait un auteur, un écrivain, bref un penseur, manquait totalement au texte en question. Ne dit-on pas que"le style c'est l'homme"2? ChatGPT n’en sera jamais un, ni sa copie conforme, ni son simulacre, à l’instar des chiens robots, Aigo ou autres faux canidés.

Ainsi à quand pour ChatGPT non pas d’écrire un poème synthèse de datas glanés et glacés-glaçants, ou même écrire une œuvre philosophique dont la plume serait nouvelle, ni Kant, ni Hegel ou Buber ou Heidegger ou Derrida, Henry ? À quand un texte inédit, neuf avons-nous envie de dire, un texte que jamais personne n’aurait encore écrit ni pu produire parce qu’une nouvelle tête en serait la source créatrice ? Les futurs La Fontaine ou futurs Victor Hugo sont-ils en gestation dans les armoires numériques de ChatGPT ? Le poète ou le philosophe créateur a son style, créé de nouveaux mots, une nouvelle grammaire, forge de nouveaux concepts. Là se situent, sensibilité, imagination, intelligence, habileté, intuition créatrice. Doit-on espérer des effets de langage ? Des datas picorés, rassemblés, ne feront toujours qu’un tas de blé. Ils ne donneront jamais ainsi glanés ni un pain nouveau ni procureront le délice du lecteur et son émerveillement.

Sachons apprécier nos outils, bien les utiliser sans jamais les distordre, ou les détourner3 encore moins les aduler. Régulons-les par une éthique à leur hauteur.

 

1. Commission Nationale Informatique et Liberté, crée en 1978. Entre autres elle protège les données personnelles.

2. L’expression est de Buffon, XVIII° siècle.

3. Les craintes de détournement et de falsification d’informations sont là, Mensonges, fausses nouvelles, faux signataires peuvent être au service de pouvoirs sombres.

                                                                               Marie-Danielle Grau

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