Bobin, Soulage, Conques. 23/12/2022

 

Bobin, Soulage, Conques

 

 

Trois noms qui font cordage, broderie, enchevêtrement réciproque, à rapprocher de l’art des nœuds où un, deux ou trois fils ou cordes se croisent, avancent, régressent, passent dessus dessous sans jamais se quitter. Il en va ainsi du livre – l’avant dernier – du poète Christian Bobin La Nuit du Coeur. L’entrelacement y est constant entre Bobin, Soulage, Conques. Mais avec une double substitution, les vitraux pour l’œuvre de Soulage , font signe et pour le peintre et pour l’abbatiale qui, elle-même est souvent désignée en tant que la partie pour le tout. Conques pour Bobin désigne autant le village que seulement l’abbatiale. De même pour les vitraux. ceux-ci la désigne sans pouvoir s’en distinguer. Pierre des murs médiévaux ou vitraux de Soulage, la différence a disparu comme d’ailleurs telles photographies à une certaine heure du jour l’ont fixée. L’abbatiale apparaît vraiment close mais aussi enclose, tout semble fermé, clôt, reposé et reposant. Soit le gris prédomine pierres et vitraux confondus soit l’ocre doré du soleil couchant. C. Bobin écrit, pour le gris : «  Quelques cubes de pierre du onzième siècle montés comme un jeu d’enfant, avec des vitraux crayonnés de gris », et au chapitre suivant pour le blanc : « au matin j’ai bu le lait de la lumière. On voit dans les vitraux de petites bulles, comme si un nageur avait plongé dans un océan et que de l’air échappé de ses poumons, remontait en surface jusqu’à nous. Ce verre au matin a un gris douanier. Le soleil déclare ce qu’il transporte. Un tri est fait. Ne passera la frontière que l’élément spirituel de la lumière ». Et, en finesse l’évocation de la couleur : «  la lumière infidèle saute à travers le verre en poussant de petits cris de couleur  ». Gris, blanc, des « petits cris de couleur » le maître verrier a créé son verre propre, spécifique, translucide, ni opaque ni transparent. Le poète scrute la subtilité des couleurs qu’il faut surprendre comme aux aguets. Il interpelle l’œuvre, la tutoyant : « Mais tes vitraux, j’aurai le voir plus tôt, la lumière les rebrousse comme un duvet , découvre les couleurs du temps , cet argenté, cet orange, ce bleu premier : tu voles Conques. Ton nid est là-bas dans une forêt de l’Aveyron ». Le peintre de Sète et le poète du Creusot percent le secret de la matière, le verre pour l’un, les mots de notre langue pour l’autre. Ils s’affrontent à la rugosité ou à la douceur du langage de leur art qui culmine dans la lumière. C.Bobin écrit comme un résumé, une synthèse magistrale hommage explicite au maître et ami : « A Conques les vivants du onzième siècle ont construit un grand campement de pierre avec du vide au milieu. Au vingtième siècle, un vivant a eu l’idée d’améliorer le campement , de construire des vitraux si simples qu’ils ne raconteraient aucune histoire et serviraient de bain-douche de lumière pour les âmes épuisées ». « Conques, 104 attaques de la lumière ». Puis, une autre allusion à Soulage, Bobin s’adressant à Conques en la personnalisant : «  Et celui qui au vingtième siècle a parfait ton berceau, tendu autour un voile de verre si fin que le souffle des lumières le fait danser, cet homme - avec son visage d’île déserte incorrompue par les navires - a aussi à sa façon brutale travaillé à son salut et donc au nôtre ».

La Nuit du Coeur est l’avant dernière œuvre d’où ces extraits sont tirés1. Le poète laisse pressentir l’œuvre suivante intitulée Pierre consacrée à Pierre Soulage. Deux amis qui semblent aux antipodes : le peintre par ses tableaux monumentaux, le poète à travers sa prose poétique cachée, quasi lilliputienne, créatrice d’images inattendues, de surgissements d’expressions suggestives et chatoyantes. L’un dans le grand, l’autre dans le petit, l’infime des mots associés, déplacés, poésie presque minimaliste. Deux artistes, deux créateurs amis de la lumière et de l’intériorité, sans éclat, sans éblouissement, mais comme un frôlement incandescent.

                                                      Marie-Danielle Grau

1. Éditions Gallimard. Folio. 2018.

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