Le mot MERCI de Buber à Levinas

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Cher lecteur, après l'alphabet/abécédaire philosophique, je propose un  texte bref assez remarquable de courtoisie, de civilité et d'intelligence. Il permet de prolonger notre réflexion sur le sens des mots dont ici, ce petit mot si souvent dit sans dire, le mot "merci". Dans le "sens plein" de notre philosophe, ce mot si courant et parfois si banal veut dire, un humanisme d'alliance.

Lettre/Réponse de  Buber à Lévinas

In Emmanuel Lévinas Noms Propres. Ed. Fata Morgana. 1976. Biblio essai n° 4059. p.47.

"De nouveau est venu pour moi l'heure de la peu commune gratitude. J'ai beaucoup à remercier. Ce me fut l'occasion de méditer une fois de plus sur le mot remercier. Son sens ordinaire est généralement compris, mais il se prête assez mal à une description qui le définisse sans équivoque.
On voit aussitôt qu'il est de ces mots dont le sens originel est multiple. Aussi  éveille-t- il diverses associations dans des langues diverses.
En allemand et en anglais, le verbe remercier, danken et thank, se trouve en rapport avec denken et think, au sens d'avoir en pensée, se souvenir de quelqu'un : celui qui dit : je te remercie - ich danke dir - donne à son interlocuteur l'assurance de le garder en sa mémoire et, plus précisément, en sa bonne mémoire, d'amitié et de joie; d'une façon significative, l'éventualité d'un souvenir autrement teinté n'entre pas en ligne de compte.
Il en est autrement pour l'hébreu. La forme verbale hodoth signifie d'abord se rallier à quelqu'un et, ensuite seulement, remercier. Celui qui remercie se rallie à celui qu'il remercie. Il sera maintenant, il sera désormais son allié. Cela inclus certes, l'idée du souvenir, mais implique davantage. Le fait ne se produit pas seulement à l'intérieur de l'âme, il en procède vers le monde pour y devenir acte et événement. Or, se rallier ainsi à quelqu'un, c'est le confirmer dans son existence.
Je me propose de vouer une mémoire reconnaissante et me rallier à tous ceux qui m'ont adressé leurs bons vœux pour mon quatre - vingt - cinquième anniversaire"
(Jérusalem, février 1963. Martin Buber.)

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